En tant que Vice-Présidente de la Commission Relations extérieures (RELEX) du Sénat de Belgique, Marie Arena a initié une série d’auditions sur les prochaines élections en République Démocratique du Congo, prévues en novembre prochain. Dans ce cadre, la Commission RELEX a reçu ce mardi 18 janvier 2011, la journaliste Colette Braeckman ; Kris Berwouts, le Président du réseau européen pour l’Afrique centrale ; Wamu Oyatambwe, politologue et chercheur à la VUB (Vrije Universiteit Brussel) ainsi que Pierre Verjans, docteur en sciences politiques de l’Université de Liège. ACP qui a assisté aux auditions publie l’intégralité de l’interview que lui a accordée la Sénatrice belge à cette occasion.
Ali Deberkale, Directeur d’ACP : Marie Arena, pourquoi avez-vous souhaité organiser cette série d’auditions ? D’autres auditions ont-elles déjà eu lieu et un calendrier est-il déjà prévu pour la suite ?
Marie Arena, Vice-Présidente de la Commission Relations extérieures du Sénat : Dans mes précédentes fonctions, j’ai eu l’occasion de soutenir des actions en partenariat avec la RDC que ce soit dans le domaine de la formation professionnelle,de l’enseignement, de la recherche,… J’ai eu la chance de pouvoir me rendre en RDC à plusieurs reprises avant les premières élections de 2006 et plusieurs fois, ensuite. En été 2010, je me suis rendue dans le Maniema pour une formation du personnel politique à la décentralisation et je suis allée aussi à Bukavu et Goma. J’ai pu ressentir à quel point la population congolaise de l’Est souffrait de tous les maux dont peut souffrir un peuple qui est privé de démocratie, de droit, de justice, de protection et bien sûr, de moyens pour vivre dignement. Lors de cette mission j’ai rencontré des acteurs de la société civile défenseurs des droits de l’homme, proches de Floribert Chebeya qui m’ont relaté la dégradation de la situation économique et sociale mais aussi l’absence de liberté d’expression. J’ai aussi rencontré des associations œuvrant pour le respect de la biodiversité et la défense des forêts en RDC ou encore des organisations qui dénoncent l’exploitation criminelle des minerais dans cette région et tous nous ont dit la même chose… C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que la commission relations extérieures du Sénat se penche prioritairement sur la situation inquiétante de la RDC et ce, en vue de la préparation des élections de 2011. La Belgique en tant que pays ami, partenaire et premier donateur dans la coopération envers la RDC se doit d’être aux cotés du peuple congolais et de faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu’il puisse accéder à un réel État de droit. Nous avons ainsi commencé nos auditions en invitant Monsieur Dismas Kitenge qui nous a exposé la situation fin 2010 en RDC en matière de respect (non respect) des droits de l’homme et nous poursuivons aujourd’hui avec des experts de la RDC.
Ali Deberkale : Avant de revenir sur l’audition d’aujourd’hui, pourriez-vous nous dire ce que vous avez retenu de l’audition précédente ?
Marie Arena : Dismas Kitenge a exposé à la commission la manière dont les Congolais subissaient au quotidien les violations des droits de l’homme en RDC. En effet outre le crime de Floribert Chebeya et la disparition de son chauffeur, il est apparu que des arrestations arbitraires, des menaces étaient exercées sur des personnes qui dénoncent la situation actuelle en RDC. Qu’il régnait également un sentiment d’impunité contre les auteurs de ces crimes. Dismas Kitenge nous signalait aussi que la tension montait en préparation des élections.
Ali Deberkale : En ouverture des débats, la journaliste Colette Braeckman a souligné l’importance des acquis de la RDC en citant notamment la mise en œuvre de grands travaux, un début de réforme de l’armée, de la police et de la magistrature, le retour de la RDC sur le plan international et, de manière plus générale, les diverses tentatives de rendre à l’État les prérogatives qui lui reviennent de droit. Dans le même temps, elle a évoqué l’absence d’impact de ces acquis sur la population, un élargissement inquiétant du fossé entre les riches et les pauvres, le rejet par la population de l’accord conclu avec Kagame ou encore la poursuite des exactions commises par l’armée congolaise. Partagez-vous cette analyse de la situation et quels commentaires cela vous inspire-t-il ?
Marie Arena : Les experts présents lors de la seconde audition nous ont apporté leur analyse de la situation en RDC à la veille des élections présidentielles. Madame Braeckman a fait état d’un bilan mitigé en RDC et a surtout mis l’accent sur le fait que même si ce pays pouvait montrer à son actif un certain nombre de points positifs, ceux-ci sont largement entachés par le fait que la grande majorité de la population n’en ressent pas les effets. Il m’est souvent difficile de parler d’avancées en RDC quand on sait que la population vit dans une situation de précarité extrême, tant sur un plan sanitaire, que sur un plan alimentaire et d’éducation et que des groupes entiers sont encore soumis aux actes extrêmement violents de l’armée ou encore que des journalistes sont tués pour avoir critiqué le pouvoir… Nous devons aussi nous rappeler que la RDC est un pays qui a d’abord connu la colonisation, puis trente ans de dictature, ensuite des années de guerre et enfin, depuis quatre ans seulement, un régime issu d’un processus électoral démocratique. L’action de Kabila est très critiquable sur de nombreux aspects, en particulier sur les droits de l’homme mais il est aussi le premier à essuyer les plâtres.
Ali Deberkale : Toujours selon Colette Braeckman, il faudrait se montrer très prudent sur le plan de la régénération du secteur minier car en imposant des sanctions à la commercialisation des minerais, on ne ferait que déplacer le problème au profit du Rwanda voisin. Aussi, Colette Braeckman préconise-t-elle de s’appuyer sur le secteur minier congolais lui-même pour contrôler les conditions de l’exploitation minière. Qu’en pensez-vous ?
Marie Arena : En ce qui concerne l’exploitation minière j’ai lu attentivement tous les rapports qui ont été réalisés par le groupe d’experts des Nations Unies, par l’association Global Witness, l’Itri, et le rapport du groupe de travail du Sénat sur « les minerais de sang ». Ces documents démontrent clairement le lien qui existe entre minerais et groupes armés dans les provinces de l’Est de la RDC. Les recommandations du groupe d’experts des nations Unies sont claires : ces derniers demandent que l’armée se retire des sites miniers ou qu’à tout le moins, une carte donnant la présence militaire soit communiquée officiellement. Ils demandent aussi que des mécanismes soient mis en place pour garantir la transparence des filières d’approvisionnement des minerais. Ils souhaitent aussi que ce travail se fasse en collaboration avec l’État congolais, les entreprises présentes et les creuseurs locaux. Ils demandent également un renforcement des structures de l’État pour opérer les contrôles nécessaires et les sanctions et que les pays voisins collaborent à cette stratégie pour éviter que les efforts de la RDC ne soient anéantis par des politiques concurrentielles voire criminelles de ces pays. Ils demandent que les secteurs industriels concernés par ces minerais (métallurgie, électronique…) mettent en oeuvre des processus de « diligence raisonnable ». Ils demandent que les pays qui sont concernés par la commercialisation, la transformation et l’utilisation de ces matières mettent tout en oeuvre pour garantir cette transparence et sanctionnent toute entreprise qui ne le ferait pas,… On voit donc que comme le dit Colette Braeckman, il ne s’agit pas de faire un embargo sur les minerais congolais dommageable pour les populations locales et favorisant l’exploitation illégale et criminelle.
Ali Deberkale : Vous dites que des journalistes sont tués pour avoir critiqué le pouvoir. N’est-ce pas un constat terrible pour un pays qui prétend respecter la liberté de la presse ?
Marie Arena : Je pense qu’il y a effectivement un grave problème quand en 4 ans, 8 journalistes sont assassinés. Dès lors la réaction d’autocensure qu’ont les journalistes est compréhensible. L’autre difficulté est l’indépendance des journalistes qui sont en même temps membres d’un cabinet ministériel… Il me semble dès lors important de demander à notre Gouvernement qu’il sensibilise les autorités congolaises au fait qu’elles doivent garantir aux médias leur expression en toute liberté et en toute sécurité.
Ali Deberkale : Un mot sur les femmes congolaises. Les bailleurs de fonds de la RDC et en particulier les ONG qui travaillent sur le terrain ne cessent de vanter le rôle essentiel joué par les femmes congolaises dans le développement de leur pays. Dans le même temps, ces femmes ont dit-on le sentiment que les grandes ONG du Nord leur confisquent ce rôle ? Qu’en pensez-vous ?
Marie Arena : Il est vrai que « La Femme » congolaise est un acteur essentiel dans le développement du pays tant sur un plan politique que dans la société civile ou sur le plan économique et social ou encore dans le secteur de la justice par exemple. Mais il est vrai aussi qu’elles n’ont pas toujours accès aux lieux de décision et ne sont pas aidées pour se structurer et par conséquent passent à côté des mécanismes de soutien par la Coopération. Nous devrons être attentifs dans nos actions à soutenir ces femmes qui sont ne l’oublions pas, souvent les premières victimes de l’instabilité en RDC.
Ali Deberkale : Kris Berwouts, Président d’Eurac, s’est montré assez pessimiste notamment en raison d’une relative indifférence de la population face au rendez-vous électoral de 2011. De son côté, le professeur Verjans a mis en garde contre une possible disqualification des élections en raison des délais nécessaires pour entériner la modification constitutionnelle annoncée. Quant au politologue Wamu Oyatambwe, il a notamment rappelé que la démocratie se construit par la base et non par le sommet, au contraire de ce qui est en train de se produire en RDC. Les élections auront-elles lieu selon vous et si oui, quels en sont les véritables enjeux ? Les jeux sont-ils faits ?
Marie Arena : Les orateurs ont aussi mis l’accent sur le fait que les élections de 2006 avaient pu aboutir à la désignation d’un président et ce, malgré les énormes difficultés et les affrontements. Je pense dès lors que l’enjeu de cette élection sera de consolider ce qui est une toute jeune démocratie. N’oublions pas en effet que les élections de 2006 étaient les premières élections démocratiques depuis l’indépendance. Ceci étant, il reste pas mal d’écueils : le calendrier actuel est irréaliste, le financement n’est pas assuré, la CENI n’est pas encore instituée officiellement, etc. La communauté internationale comme elle l’a fait pour la première élection de 2006 devra accompagner ce processus encore fragile de démocratie.
Ali Deberkale : Comment jugez-vous l’action de la Belgique en RDC et quel rôle souhaiteriez-vous lui voir jouer dans les mois qui viennent ? En séance, Armand De Decker a émis l’idée d’organiser prochainement un voyage de la Commission RELEX en RDC, qu’en pensez-vous ? Êtes-vous par ailleurs partisane de l’envoi par la Belgique d’une mission d’observation des élections en RDC ?
Marie Arena : Je pense qu’il est important que la Belgique puisse soutenir le processus électoral et la consolidation de l’État de droit en RDC. En tant que sénateurs, il est donc important que nous puissions effectuer des missions d’observation tant durant la période de préparation des élections que durant les élections. Je pense qu’il serait aussi souhaitable que des acteurs de la société civile soient soutenus pour garantir leur présence sur terrain.
Ali Deberkale : Merci Marie Arena.
Marie Arena : Merci.