La semaine dernière, l’actuel président de la République de Djibouti, Ismael Omar Guelleh, avait annoncé sa décision de mener personnellement une négociation avec l’opposition. Dans cette perspective, il vient de rencontrer Aden Mohamed Abdou, syndicaliste et vice-président de la coalition des partis de l’opposition réunis au sein de l’USN, l’Union pour le Salut National. Il y a à peine une semaine, la plupart des leaders de l’opposition étaient arbitrairement arrêtés et pour certains emprisonnés. Hier encore, un député de l’USN a été arrêté et sur le terrain, la répression et le harcèlement anti-USN ne font que s’aggraver.
Depuis un an que l’opposition réclame la victoire aux législatives du 22 février 2013 et refuse de siéger au Parlement dans les conditions fixées par le président, le régime a multiplié les promesses de dialogue sans jamais concrétiser le moindre rapprochement. Pour Ali Deberkale, représentant officiel de l’USN auprès de la Belgique et de l’Union européenne, cette annonce représente donc déjà une première victoire. « Amener le président Guelleh à la table des négociations est déjà une première victoire qui atteste non seulement de la force et de l’unité de l’opposition mais aussi de la fragilité dans laquelle se trouve aujourd’hui le régime dictatorial au pouvoir depuis 36 ans à Djibouti ».
Il faut toutefois rester très prudent, souligne-t-il, car « les revendications minimales de l’opposition sont claires. Elles comprennent notamment la libération de tous les prisonniers politiques, la reconnaissance de la victoire de l’USN qui ne siègera au Parlement qu’à condition d’y bénéficier d’une majorité de sièges, la fin de la torture, le respect des droits de l’Homme et en particulier de la liberté d’expression et encore l’adoption des réformes permettant de garantir la tenue d’élections libres, transparentes et démocratiques en 2016″. Notons par ailleurs que le porte-parole de la coalition USN à Djibouti, le belgo-djiboutien Daher Ahmed Farah, rapporte que le vendredi 7 février 2014 – en plein “rapprochement“ donc – le député USN Mahdi Ali Waberi a été arbitrairement arrêté par les gendarmes à Ali-Sabieh-ville…
Même si le président Guelleh est effectivement poussé dans ses retranchements par une opposition unie, déterminée et très largement soutenue par la rue à Djibouti, l’expérience a suffisamment prouvé que la parole du président Guelleh ne valait rien. À la veille de chaque déplacement officiel en Europe et de rendez-vous importants avec la communauté internationale, le président Guelleh a annoncé l’ouverture de négociations qui n’ont ensuite jamais vu le jour. À la veille de l’anniversaire de la première année de la victoire de l’opposition aux élections législatives et s’apprêtant à participer au sommet Europe-Afrique à Bruxelles où il a de plus en plus mauvaise presse, le président Guelleh essaye donc clairement et une nouvelle fois de gagner du temps.
Pour ACP, il est important de décrypter la propagande de ses derniers jours. En réalité à Djibouti la situation n’a jamais été aussi tendue sur le terrain. Sans une intervention extérieure – telle qu’une médiation de l’Union africaine qui en a officiellement accepté l’idée – rien n’évoluera positivement à Djibouti. Le président Guelleh n’a jamais négocié avec qui que ce soit. Pas plus qu’hier il n’a l’intention de le faire aujourd’hui. Certains proches du président le confirment d’ailleurs sans difficulté. En off.
Djibouti est aujourd’hui à une étape symbolique importante dans le conflit qui oppose les démocrates à la dictature. D’autres suivront. Depuis février 2013, toutes les tentatives de corruption des principaux leaders de l’opposition ont échoué. Il est possible que dans les jours qui viennent et au terme d’un scenario bien connu, ceux qui ont faim acceptent l’argent du président et peut-être l’un ou l’autre ministère. Les autres n’obtiendront pas satifaction – rien ne contraint Guelleh à tout lâcher à ce moment-ci de la lutte – et retourneront dans la rue poursuivre la lutte pour la justice et la démocratie à Djibouti, avec le soutien de la majorité des Djibouti qui réclament un changement profond. Ceux-là auront besoin d’être davantage soutenus par les Européens, par les Français et par les Américains. Ils savent que tant que le président Guelleh sera au pouvoir à Djibouti, rien ne sera possible. Ils savent aussi que quelque chose est en marche que rien ne peut arrêter et qu’il est en partie de leur responsabilité de tout faire pour que la transition se déroule pacifiquement.
Dimitri Verdonck, Président de l’Association Cultures & Progrès (ACP asbl)