Le Parlement européen vient d’adopter une résolution d’urgence pour violations graves des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’État de droit à Djibouti. Cette victoire diplomatique du représentant de l’USN en Europe, Ali Deberkale, vient récompenser plusieurs mois d’un lobbying acharné mené auprès de nombreuses personnalités politiques européennes, avec le soutien de plusieurs organisations de la société civile dont la FIDH et l’Association Cultures & Progrès.
Symboliquement le geste du Parlement est particulièrement fort puisqu’il intervient quelques jours seulement après l’anniversaire de l’indépendance de la République de Djibouti. Le 27 juin 2013, jour de fête nationale à Djibouti, le Parlement avait d’ailleurs été jusqu’à ouvrir ses portes à une centaine de Djiboutiens venus dire aux euro-députés la souffrance d’un peuple victime de la dictature. Une dictature d’autant plus forte qu’elle représente pour beaucoup de partenaires, dont l’Union et certains de ses États membres, un intérêt stratégique qui fait trop souvent passer au second plan les revendications émancipatrices de la population de Djibouti.
Au-delà des symboles, cette résolution aura également des conséquences immédiates et très concrètes sur les relations entre Djibouti et l’Union européenne, car depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le pouvoir des parlementaires européens s’est considérablement accru. Le contenu de la résolution ne laisse d’ailleurs aucun doute là-dessus puisqu’elle fait même état de possibles sanctions à l’égard de Djibouti en cas de non respect des exigences formulées avec beaucoup de clarté et de sévérité par les euro-députés. On est donc loin des incantations de pure forme.
Dans sa résolution, l’Europe reconnait tout d’abord qu’une crise politique grave secoue désormais Djibouti. Premier camouflet pour le régime djiboutien qui minimise jusqu’à l’absurde les événements politiques de ces derniers mois, de peur de perdre la réputation qu’il croyait durable d’un président rassembleur et unique rempart contre le chaos et tout ce qui menacerait les intérêts de la communauté internationale dans la région. Le Président n’est manifestement pas en mesure de garantir la stabilité de son pays autrement que par la force et les exactions. Dont acte officiel et cinglant des Européens qui rappellent au passage qu’il doit sa dernière réélection à une modification peu glorieuse de la Constitution. Après les communiqués pour le moins complaisants, voire complices, de la Haute Représentante Catherine Ashton, voilà qui fait du bien à la démocratie et à la vérité historique.
Jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-dire jusqu’à la publication de résultats officiels et complets des élections du 22 février 2013, bureau de vote par bureau de vote, le doute subsistera quant à la légitimité d’une Assemblée nationale « sur mesure ». Quatre mois après les élections, le doute s’est déjà bien installé mais plus le temps passera, plus Djibouti apparaitra comme hautement suspect – et finalement coupable – d’avoir organisé des fraudes massives pour maintenir en place un régime autocratique vieux de 36 ans. En vérité, n’attendant plus de résultats officiels crédibles, les Européens disent tout simplement qu’ils ne sont pas dupes. Et ils le disent clairement.
Entre la parole d’un président mal élu et les faits concordants rapportés par les témoignages de la population et plusieurs ONG internationales reconnues pour le sérieux et la crédibilité de leur travail, là encore les Européens ont tranché. Dans le vif ! La société civile internationale fait état de torture, elle fait état de personnes tuées lors de manifestations pacifiques et de décès suspects. Les euro-députés s’en inquiètent et demandent des comptes. Quant à l’absence totale de liberté de presse et à la répression massive et systématique menée contre les opposants et les défenseurs des droits de l’Homme, la résolution est aussi très claire et particulièrement offensive. De même, l’impunité dont bénéficient certains membres des forces de l’ordre qui abusent de leur pouvoir et commettent des viols est elle aussi explicitement condamnée.
Les textes et amendements déposés par la droite et les libéraux européens nous apprennent également que le régime djiboutien ne peut visiblement plus compter sur ses amis politiques traditionnels. Si le président Guelleh ne s’en était pas encore rendu compte, le voilà désormais fixé car les constats sont sans ambigüité et les exigences fortes, même du côté des groupes PPE et ALDE où siègent notamment les députés français de l’UMP et les députés belges du MR. Cela se retrouve naturellement au niveau des votes où le constat est sans appel : les Européens ont préféré la démocratie aux considérations partisanes. Face à la dictature à Djibouti, les euro-députés ne sont donc ni de gauche ni de droite, ils sont majoritairement démocrates !
On peut par ailleurs raisonnablement penser que de nombreux députés européens n’avaient sans doute jamais entenu parler de Djibouti auparavant et certainement pas sous ce jour. Avec cette résolution, ce sont maintenant 754 députés venus des 27 États membres de l’Union qui associeront le nom de Djibouti à celui d’une dictature. Parmi eux, nul doute qu’il y en aura – Français, Belges, Allemands, Espagnols ou autres – , qui demanderont aussi très vite des comptes à leur propre pays sur ses liens avec Djibouti. En quelques mois, le régime risque donc d’avoir affaire à une Europe assez différente de celle qu’il a connu jusqu’ici.
Avec cette résolution, l’image du président djiboutien est très sérieusement atteinte et ce sera à lui de montrer que les Européens se trompent sur son compte. Quand bien même se ficherait-il de ce que peut penser l’opinion publique européenne, Omar Guelleh sait très bien que les politiques ainsi que les investisseurs publics et privés dont il convoite les ressources ont besoin d’être rassurés. La résolution qui vient d’être adoptée constitue donc là aussi un obstacle de taille et qui met à mal ses récentes tentatives de séduction du secteur privé pour attirer à lui de l’argent frais venu de l’extérieur.
La première réaction de Djibouti est pour le moins agressive. Ayant eu vent des négociations en cours en début de semaine au Parlement européen, le président Omar Guelleh n’a pas hésité à faire immédiatement jeter en prison pour une période indéterminée, Daher Ahmed Farah, le porte-parole de la coalition de l’opposition réunie au sein de l’USN dont le représentant auprès de l’Union européenne s’avère particulièrement actif et efficace. Démenti flagrant à sa volonté affichée le 27 juin dernier d’ouvrir le dialogue avec la coalition des opposants pacifiques, le geste du président représente donc aussi une provocation à l’égard des Européens.
Pour toutes ces raisons, la résolution qui vient d’être adoptée à Strasbourg constitue ni plus ni moins qu’un changement de paradigme dans la relation djibouto-européenne et le signal fort du soutien de l’Europe à l’égard de la population djiboutienne. Aujourd’hui, les dizaines de milliers de manifestants djiboutiens qui se battent pour la justice, la démocratie et l’État de droit dans leur pays ont trouvé un allié de poids. Il était temps !