En cette veille d’élections législatives, le quotidien La Libre Belgique publie aujourd’hui un article conjoint d’ACP asbl et de la FIDH sur la situation des droits de l’Homme à Djibouti. Pour rappel, parallèlement à la mission technique des deux experts électoraux envoyés sur place par la Commission européenne, ACP asbl a adressé à Djibouti la proposition d’y diriger une mission civile indépendante d’observation. Toujours sans réponse, la proposition reste d’actualité.
Djibouti : le port de l’angoisse
Un article publié le 17.01.2013 par le quotidien La Libre Belgique.
Dans un silence assourdissant, Djibouti vit une oppression qui vient de faire une nouvelle victime, Hafez Mohamed Hassan, collégien de 14 ans, mort sous les balles des services du régime d’Ismail Omar Guelleh alors qu’il manifestait pour dénoncer le manque d’infrastructures sportives dans sa région d’Obock.[1] C’est ce qui se passe à Djibouti quand des élections approchent et que l’on ose faire valoir ses droits ou réclamer des élections libres, transparentes et équitables. Depuis plus de dix ans, les opposants, les syndicalistes, les défenseurs des droits humains et les citoyens subissent une répression brutale qui s’intensifie à l’approche de chaque élection. Lors de la présidentielle d’avril 2011, le bilan de cette répression a été le plus lourd de toute l’histoire du pays : plusieurs dizaines de jeunes manifestants tués, des centaines d’autres arrêtés et détenus durant des mois. L’ancien Commissaire européen au Développement et à la Coopération, M. Louis Michel, sur place au moment des faits avait lui-même déclaré à l’époque que « ce qui s’est passé récemment à Djibouti n’est évidemment pas tolérable. L’UE doit exprimer sa désapprobation avec force ». [2]
L’UE est le premier bailleur de fonds à destination de Djibouti où elle a décidé de renforcer sa présence. En contrepartie d’un loyer annuel de 30 millions de dollars chacune, la France, le Japon et les États-Unis y disposent d’une importante base militaire pour lutter contre le terrorisme et la piraterie notamment. Il n’est plus possible d’accepter qu’un tel régime continue de tuer, de torturer, d’arrêter, de bâillonner la presse, d’empêcher la liberté syndicale et de réprimer les manifestations pacifiques sans réagir et en poursuivant la coopération au nom de la défense de nos intérêts stratégiques et commerciaux. Face à une situation sociale désastreuse et l’intensification du harcèlement, les partis politiques d’opposition ont décidé pour la première fois depuis dix ans de participer aux élections législatives de février 2013 plutôt que de les boycotter. Mr Daher Ahmed Farah, président du principal parti d’opposition, le Mouvement pour le Renouveau démocratique et le Développement (MRD), a d’ailleurs décidé de clore sa décennie d’exil en Belgique pour rentrer au pays et mobiliser les électeurs. Pari courageux quand on sait qu’aucune des dix revendications adressées par l’opposition au président Guelleh n’a été acceptée et qu’aucune avancée n’a été enregistrée en matière de respect des droits civils et politiques depuis plus d’une décennie au moins.
Par principe et sous peine de voir progressivement la situation dégénérer dans une région déjà particulièrement instable, la communauté internationale ne peut pas laisser se dérouler une énième élection tronquée à Djibouti et laisser se poursuivre les exécutions extra-judiciaires, le recours systématique à la torture dans les prisons, les arrestations et les détentions arbitraires, l’absence de liberté de la presse et une justice entièrement dépendante du pouvoir exécutif. Aidons les Djiboutiens à prendre la parole et veillons à faire arrêter les violations des droits de l’Homme. En plus des deux experts techniques dépêchés sur place par l’UE, soutenons l’envoi sur place d’une mission civile et indépendante d’observation électorale. Rappelons enfin aux autorités djiboutiennes que le renforcement de notre présence exige un renforcement de nos exigences à l’égard de Djibouti sur le plan du respect des droits de l’Homme. Cette exigence qui plaide actuellement en défaveur de la candidature de l’ambassadeur djiboutien Rachad Farah à la présidence de l’UNESCO. Cette même exigence qui fait que l’on ne tue pas un collégien de 14 ans, que l’on ne viole pas sa mère, que l’on ne torture pas son père, que l’on n’exécute pas son frère et qu’on laisse voter librement sa sœur. Pourquoi cette exigence serait-elle trop élevée pour Djibouti ?
[2] in La situation des droits de l’Homme à Djibouti à la veille des élections présidentielles de 2011, ACP asbl Éditions.