« Au cœur de l’État de droit, il y a la non violence », Karl Popper. Cette analyse a pour but de jeter un regard critique sur l’école et de participer au débat sur la question de la médiation scolaire ; outil désormais indispensable d’appui au développement de la pratique démocratique à l’école. A quel niveau l’école contribue-t-elle à dispenser aux élèves une éducation de tolérance et d’inclusion, principes sur lesquels repose notre société démocratique ?
Depuis la proclamation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme il y a 60 ans, notre société a œuvré aux côtés de la communauté internationale en faveur de la reconnaissance et de la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales par l’élaboration d’un vaste corpus de règles internationales en matière de droits humains.
La mise en place de la politique de l’Education Nationale et le principe de l’action non violente s’inscrivent dans un cadre global défini par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989 et est soutenu par des organisations internationales telles que le Conseil de l’Europe, l’UNESCO et l’ONU. L’Union Européenne s’est également prononcée en faveur de cette approche. Plusieurs recommandations du Conseil de l’Europe affirment qu’une telle formation, qui doit concerner aussi bien les enseignants que les élèves, vise à enseigner le vivre ensemble au sein d’une société démocratique mais conflictuelle. A l’échelle internationale et européenne, il existe donc une réelle prise de conscience de la nécessité d’agir de manière préventive contre la violence en milieu scolaire.
Ainsi, le droit à l’éducation constitue un point d’entrée vers l’exercice de tous les autres droits fondamentaux. Il comprend l’éducation aux droits de l’homme, le droit à l’information sur ces droits ainsi que les moyens de les protéger et de les promouvoir dans nos sociétés. Toutefois, si l’éducation dans le domaine des droits de l’homme favorise une conception globale fondée dessus, comment l’école nous porte-t-elle à la compréhension de ces mêmes droits ?
C’est dans ce contexte qu’il est intéressant de raisonner sur le fonctionnement de l’école au quotidien et aux rôles des médiateurs scolaires. Il ne s’agit pas de traiter de la théorie de l’éducation démocratique mais bien de réfléchir essentiellement à qui se charge de fournir un outil afin de combler l’écart entre la théorie (par exemple la question de savoir comment préparer les jeunes à devenir des citoyens adultes participant à la démocratie) et la pratique (assurer leur expérience de la démocratie dans tous les aspects de la vie de l’école, à tous les niveaux). Les médiateurs scolaires peuvent-ils représenter un relais comblant cet écart ? Nous pensons qu’ils ont un rôle majeur et permettent aux enfants d’intégrer la loi à travers sa pratique.
En effet, l’éducation aux droits humains, au respect et à la compréhension mutuels sont essentiels pour nos sociétés pluralistes mais n’en sont pas pour autant acquis. Les médiateurs scolaires peuvent, dans la mesure du possible, contribuer au développement des relations égalitaires, à l’autonomisation et à la participation des élèves et de leurs familles ainsi qu’à la prévention et à la résolution des conflits à travers un regard attentif et critique envers les notions de relativisme culturel et de droits de la personne.
Le nouveau contexte de l’école
A partir des années 70, l’école devient un milieu qui se confronte à deux défis spécifiques : le pluralisme normatif et un public de plus en plus varié, résultat d’une immigration croissante. La société qui a partagé jusqu’ici les mêmes principes fait face à une nouvelle phase et à la nécessité de négocier les différentes valeurs qui se produisent au niveau local. L’école se modifie en son sein.
Principalement lieu de transmission des connaissances, des hiérarchies sociales et de la discipline, l’école devient un tout nouvel endroit intégrant indiscutablement au champ pédagogique le champ social : ce milieu de la vie que représente un espace de gestion active d’identités multiples et de relations entre les professionnels de l’éducation et les jeunes. D’un côté se trouvent les enseignants, les éducateurs, les assistants sociaux et les médiateurs scolaires, et de l’autre les élèves et leurs familles.
Cependant, depuis la massification scolaire des années quatre-vingts, l’école est devenue un lieu en pleine mutation qui engendre des mécanismes d’inclusions et d’exclusions où le reflet des hiérarchies, des nationalismes et des classes sociales sont souvent à la base des jugements entre les élèves. La perception de l’autre devient ainsi génératrice d’incompréhensions et d’innombrables inégalités. L’école, institution ancrée dans des spécificités socioculturelles locales, s’est vue contrainte d’entreprendre un processus de réflexion avec la communauté éducative concernant les décisions essentielles de la vie des écoles. Néanmoins, la défense des valeurs humanistes et pluralistes se concrétise de manière précaire et se montre comme étant un défi plus grand que les moyens déployés par les écoles elles-mêmes. Ces dernières doivent aussi rendre compte des résultats attendus et justifier toutes leurs actions au nom d’une visibilité à l’intérieur d’une société qui se veut extrêmement performante et méritocratique.
La naissance de la médiation
Au vu de toutes ces considérations, la médiation scolaire a fleuri à Bruxelles dans les années nonante comme dispositif de gestion de conflits face à la nouvelle vague de violence causée par la montée de l’extrême droite. Elle se manifeste alors comme un instrument nécessaire pour affronter la micro-criminalité, la violence, le décrochage scolaire et pour améliorer les relations entre l’administration et les populations immigrées. De plus, c’est proprement à ce moment-là, en 1991, que le Fonds d’Impulsion à la Politique d’Immigration (FIPI) est créé et que des médiateurs communaux, sociaux et scolaires sont engagés au même titre que les auxiliaires de police pour les communes à risque .
Aujourd’hui encore, le FIPI a pour but de soutenir des projets favorisant l’intégration sociale des personnes d’origine étrangère, la prévention des discriminations et le dialogue interculturel. Les projets subventionnés par le FIPI doivent concourir à l’amélioration du cadre de vie et à l’égalité des chances dans les zones définies comme prioritaires. Sauf circonstances exceptionnelles, le FIPI n’a pas vocation à assurer le financement structurel ou récurrent d’une organisation. Il encourage des projets novateurs durant une période limitée . Les projets menés en faveur de l’intégration des groupes marginaux concernent surtout les jeunes défavorisés et immigrés, les mineurs ne respectant pas l’obligation scolaire et les jeunes sans occupation occupant les espaces publics.
Si les médiateurs sociaux ont pour mission d’améliorer la convivialité dans les quartiers et inciter au meilleur vivre ensemble, les médiateurs scolaires commencent leur carrière comme acteurs spécialisés dans la lutte contre le décrochage scolaire pour être ensuite poussés à aller au-delà de cette spécificité et pointer d’autres dysfonctionnements de l’institution scolaire elle-même. Nous nous référons aux situations d’inégalités, d’exclusions et d’intolérance culturelle ainsi qu’aux relations entre filles et garçons, entre les élèves et leurs familles et enfin entre les élèves et les enseignants. Ces derniers se retrouvent souvent à travailler seuls et ont besoin d’un appui externe, un tiers prêt à l’écoute face à des situations d’insécurité, de pauvreté, d’agression et/ou de malaise émotionnel.
La médiation scolaire et ses services
A Bruxelles, nous observons l’officialisation de la médiation scolaire avec le décret du 30 Juin 1998 de la Direction Générale de l’Enseignement Obligatoire (DGEO) qui instaure les modalités d’actions de ces personnes à l’intérieur de l’établissement scolaire. Mais globalement, la médiation scolaire prend une forme qui va au-delà : elle devient « une nouvelle orientation culturelle qui est amenée à se diffuser comme attitude culturelle permanente, et ce pour affronter les nouveaux défis culturels et structurels de notre société ». Elle cherche à rétablir et à renforcer les liens de confiance entre les jeunes, leurs familles et l’établissement scolaire tout en agissant comme interface facilitant le dialogue et comme un acteur neutre qui ne juge pas. De fait, c’est seulement en respectant le principe de neutralité qu’un médiateur peut vraiment se mettre à l’écoute des différentes parties prenantes et affirmer sa crédibilité.
La médiation est certainement issue en grande partie de cette idée : l’idée d’un neutre actif qui ne donne pas d’avis sur une contestation (arbitrage), ne donne ni tort ni raison aux parties (culpabilité) et ne cherche pas à rapprocher des personnes pour éviter un conflit à terme (négociation). La médiation peut alors être définie comme une procédure résultant d’une décision prise d’un commun accord par des personnes en conflit et qui décident d’avoir recours à une tierce personne, dénommée « médiateur », pour les aider à trouver un débouché constructif. La décision appartient aux seules parties en présence. La mission spécifique du médiateur est donc de mettre en place une stratégie qui favorise une relation gagnant-gagnant et non une relation gagnant-perdant. Le médiateur crée un lien entre les parties pour une bonne communication, en instaurant un espace apaisé où chacun aura le recul suffisant pour se retrouver et dialoguer.
Deux services de médiation sont mis en place, l’un en Wallonie qui opte pour des médiateurs externes à disposition de l’ensemble des établissements, et l’autre à Bruxelles où les médiateurs sont internes aux écoles qui en font la demande. Les établissements scolaires sont libres d’accepter ou de refuser ce service de médiation. En général, les médiateurs scolaires assurent des démarches de prévention et d’accompagnement dans des situations de violence à l’école, de décrochage scolaire, d’assuétudes ou de maltraitance. Ils interviennent principalement dans l’enseignement secondaire, en cas de circonstances exceptionnelles dans l’enseignement primaire, et prioritairement dans les établissements à encadrement différencié.
Le médiateur entre en scène à la demande de la direction, d’un enseignant, d’un éducateur, d’un élève, de sa famille ou d’un service extérieur. Le service de médiation scolaire peut donc être sollicité par tous, en toute liberté et gratuitement.
La médiation scolaire : neutralité, bienveillance et respect des parties
En plus d’aider à trouver des solutions constructives aux conflits, le médiateur scolaire peut également offrir un lieu d’écoute aux jeunes et aux parents, renseigner sur les études et les professions existantes, assister dans la recherche d’une école, accompagner le jeune dans ses démarches scolaires et intervenir dans les situations de décrochage et d’absentéisme. Il est formé à aider, communiquer et négocier dans le respect de chacun par des actions ponctuelles et concrètes, visant à faciliter le dialogue entre les professeurs, les parents, les élèves et même le quartier. Il a pour but d’améliorer le bien-être des enfants issus de milieux parfois très différents et de favoriser l’accrochage scolaire.
Ses actions sont variées. Il organise des réunions mensuelles avec les parents et crée des liens avec les acteurs du quartier ; il assiste aux réunions des parents et participe à des moments marquants de la vie de l’école tels que les fancy-fair, les journées portes ouvertes mais également des animations dans les classes et l’accompagnement des familles dans leurs démarches sociales.
Dans le cadre de sa mission, le médiateur se porte garant des principes d’impartialité, de neutralité et de confidentialité. Selon Christine Mironczyk, médiatrice scolaire au Centre scolaire Sainte-Marie La Sagesse de Schaerbeek depuis 20 ans, il y a au cœur de la médiation une véritable communication fondée sur la confiance. Pour que le dialogue puisse se développer en toute sérénité, le médiateur explique son rôle et évoque régulièrement son impartialité sans conseiller de solution. Ce seront les participants à trouver eux-mêmes une solution. Mme Mironczyk souligne à plusieurs reprises les règles fondamentales de confidentialité, d’écoute réciproque et de reformulation de ce qui a été prononcé. Cette dernière étape est essentielle car elle évite toute erreur d’interprétation et de malentendu et cherche à nommer le conflit.
Ainsi, l’accord des participants sur les règles est essentiel pour le bon déroulement de la médiation. Pour arriver à une solution équitable, le médiateur doit veiller à l’équilibre des pouvoirs entre les participants, c’est-à-dire à ce qu’aucun ne domine jamais l’autre. D’autre part, le médiateur doit essayer, tout au long du processus, d’entretenir un climat positif en mettant l’accent autant sur les points d’entente que sur les risques d’échec.
La médiation pour les primo-arrivants
Il est également nécessaire de souligner l’importance de la médiation dans l’accueil des primo-arrivants, laquelle a pour but de faciliter l’intégration des personnes nouvellement arrivées en Belgique et inscrites à la Commune. C’est un dispositif qui propose un accompagnement social adapté aux problématiques spécifiques rencontrées par une certaine population et qui prévoit un programme d’initiation à la citoyenneté belge afin d’aider les primo-arrivants à s’intégrer de manière harmonieuse et rapide au sein de la communauté.
Les demandes portent essentiellement sur le droit de séjour, la naturalisation, le regroupement familial et la recherche d’emploi. Le médiateur intervient en tant que facilitateur des relations entre l’administration communale, le CPAS et la commune de référence des primo-arrivants. Il tient des permanences dans une Maison de quartier, travaille également en étroite collaboration avec les professeurs de français en ce qui concerne des animations citoyennes pour les primo-arrivants et donne des informations utiles sur d’autres thèmes tels que l’équivalence des diplômes, le permis de travail, les services d’Actiris et de la maison communale.
Il propose un lieu d’écoute et apporte des réponses aux questions qui touchent la vie au quotidien tout en orientant les nouveaux inscrits vers les structures adéquates. En outre, il peut aider les usagers dans la recherche d’un cours de français ou de néerlandais, dans la recherche d’une école ; sur des questions de santé, assurance maladie, permis de travail, recherche d’emploi, formations, loisirs, vie associative, citoyenneté, etc.
Nous pouvons donc résumer que la médiation propose un accompagnement individuel et familial qui vise à améliorer le bien-être des personnes et à favoriser le lien social.
La médiation : quelle évolution possible ?
L’école, en crise aujourd’hui, n’a pas réussi à se réaliser comme modèle d’intégration et a vu un repli de chacun sur lui-même ou sur son groupe. Dans ce contexte la médiation ne peut être la solution ultime, mais elle favorise une compréhension mutuelle dans le domaine scolaire et dans le processus de gestion des conflits sans pour autant être une mesure disciplinaire. Bien au contraire, elle apparaît comme une alternative au modèle disciplinaire, luttant contre la stigmatisation et l’exclusion de l’élève et cherchant à éviter le repli des acteurs sur eux-mêmes (élèves ou membres de la communauté éducative) et à promouvoir, à travers les échanges, la reconstitution d’une véritable communauté scolaire.
La médiation constitue aussi un champ d’expérimentation du tissu associatif dans les quartiers et arrive à plaider pour le développement de contrats sociaux pour régler les conflits de proximité. Certes, elle se heurte toujours à une certaine méfiance due à un manque d’information sur la fonction mais, en décortiquant les réactions agressives et individualistes sans négliger pour autant la personne, elle aide la société à s’organiser dans une perspective de paix et de respect des droits des hommes et des femmes. Elle permet à la démocratie de progresser vers un échange coopératif et citoyen.
Il apparait clairement au terme de cette analyse que la médiation dépasse largement la simple fonction de régulateur des conflits et qu’elle entraîne un réel changement des mentalités. Le conflit n’est plus vécu comme quelque chose de négatif, à éviter, à nier, mais plutôt comme une opportunité de se rencontrer dans un dialogue pour renoncer à la violence. Toutefois la médiation, pour être efficace, se doit d’être institutionnalisée et reconnue par tous les acteurs, de l’école à la famille.
Le facteur principal réside dans un changement profond des mentalités et une redéfinition des rapports entre élèves et membres de la communauté éducative. Mais comment articuler ce changement ? Nous pouvons y réfléchir en cherchant de répondre aux questions suivantes.
Tout d’abord, les jeunes d’immigration récente sont confrontés à une multitude de normes et valeurs inconnues alors qu’ils n’ont pas souvent les ressources pour les affronter, comme le soutien familial, la maîtrise de la langue ou la compréhension du fonctionnement scolaire local. Quel rôle peut jouer alors le médiateur dans l’intégration scolaire de l’élève ?
Quel genre de participation familiale peut-on envisager en milieu scolaire ?
De plus, quel équilibre alternatif peut-on imaginer pour l’enseignant qui se trouve souvent réparti entre son rôle de transmission de connaissance et médiateur informel au niveau de l’éducation dans sa classe ?
Enfin, le moment ne serait-il pas venu de commencer à parler d’une médiation d’un autre niveau : de la gestion des conflits à une véritable éducation aux droits humains applicable au quotidien ? Le médiateur pourrait en être le garant, s’il ne l’est pas déjà…
Une analyse de Emanuela Del Savio
Bibliographie
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